Monstres et fantômes by Stéphane Dompierre

Monstres et fantômes by Stéphane Dompierre

Auteur:Stéphane Dompierre [Dompierre, Stéphane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique
ISBN: 9782764436608
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2018-09-19T22:00:00+00:00


LE CHAT NOIR

ET AUTRES CONTES

Maude Nepveu-Villeneuve

Vendredi

Décembre est froid, cette année. Sur le terrain du collège, il reste quand même quelques courageux, qui fument des clopes sans manteau en essayant de cacher que leurs mains tremblent et que leurs fesses sont gelées. J’arrive à l’heure où tout le monde part, à l’heure où presque toutes les portes sont déjà barrées, où le café étudiant est vide et où il ne reste que les profs et les élèves des derniers cours de la journée, ceux qui finissent à 18 heures. Bientôt, eux aussi partiront, ils iront faire le souper ou manger celui de leurs parents, coucher leurs enfants ou se préparer à sortir avec leurs amis pendant que moi, j’essaierai de faire entrer quelque chose d’utile dans les cerveaux des trente étudiants de mon cours du soir, en sachant très bien qu’ils vont me le recracher tout croche la semaine prochaine dans leur rédaction. Il n’y a rien que je déteste autant que de lire mes propres paroles remâchées à l’envers dans un texte d’élève.

Je traverse l’agora du cégep, où traînent les vestiges de la journée ; un emballage de sandwich en plastique biodégradable – ceux qui font tellement de bruit qu’on est obligés d’arrêter le cours chaque fois que quelqu’un déballe son lunch –, une bouteille de kombucha vide, deux ou trois gobelets de café, un chandail oublié sur un banc. La lumière crue des néons contraste avec la noirceur, dehors, de l’autre côté des grandes fenêtres.

Dans l’escalier mobile, je me laisse porter et j’en profite pour réviser le cours de ce soir. Je termine toujours la session avec les contes d’Edgar Allan Poe. Ces séances-là sont mes préférées, peut-être parce que c’est le seul auteur du 19e siècle qui parvient réellement à intéresser mes étudiants. Je me fais un high five chaque fois qu’ils m’avouent, toujours un peu gênés, qu’ils ont eu de la misère à dormir à cause du Chat noir ou de La chute de la maison Usher – ce qui n’arrive jamais à la lecture du Lac de Lamartine.

Au septième étage du cégep, je m’enfonce dans le corridor plein de tournants et de portes fermées sur des locaux déserts. Un néon fatigué grésille et mes talons claquent sur les tuiles du plancher. Malgré tout, le silence est frappant, même après des années. Il y a quelque chose d’unique dans cette paix qui n’existe dans les écoles que les soirs et les fins de semaine. Tout est figé, superflu. On a l’impression de surprendre un lieu qui ne nous attendait pas, comme quand on marche en forêt et qu’on entend les insectes et les petits animaux se faufiler dans les herbes loin du sentier. Dans mon bureau partagé avec cinq autres profs, c’est un peu comme si j’entrais par effraction. Les livres qui traînent, les tasses à café, tous les artéfacts me permettent d’imaginer la vie de mes collègues diurnes, ceux que je ne croise jamais. J’accroche mon manteau sur un des six crochets, je ramasse ma paperasse et je repars tout de suite vers ma classe.



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